C'est une belle soirée sur le circuit de Most (Tchéquie), où la 962 et la 911 GT1 Evo viennent de s'arrêter sous le pont. De la fumée émane encore des échappements de la 962. Nous nous approchons, pris par l'émotion.
Carbone
La Porsche 962 Groupe C est une évolution de la 956 et entre 1982 et 1987, ces deux-là étaient imbattable aux 24 Heures du Mans. Nous découvrons ici la voiture telle qu'elle était préparée par le team allemand Kremer. Elle est très spéciale, car il s'agit de l'une des rares 962 reposant sur un châssis en carbone. D'où son nom: CK6. "Après les accidents qui ont coûté la vie à Stefan Bellof et Manfred Winkelhock, il a été clair que la rigidité du châssis en aluminium des 956 et 962 posait problème", explique Achim Stroth, à l'époque directeur du team Kremer.
Et cette voiture a une histoire plus riche encore. Non seulement elle courut aux 24 Heures du Mans de 1991, 1992 et 1993, mais elle fut ressortie du garage en 1996, 1997 et 1998 pour participer à nouveau aux 24 Heures, sous forme de spyder (Kremer K8). Depuis, elle a repris sa forme originale et a récupéré ses couleurs Kenwood, avec lesquelles elle a obtenu son meilleur résultat au Mans, à savoir une septième place. C'est aussi avec ce châssis n°3 que Manuel Reuter remporta une course en Interseries.
Spyder
A l'époque où Kremer utilisait encore la voiture dans sa forme spyder, Porsche se consacrait à d'autres plans. La fin du Groupe C était là et en compétitions BPR, la Porsche 911 GT2 ne semblait pas être de taille face à la concurrence. Mais les règlements bien moins stricts de la catégorie GT1 donnèrent à Norbert Singer, chef-ingénieur de Porsche, la chance de réaliser un rêve: allonger une 911 pour donner au moteur une position centrale arrière, en amont des roues postérieures. Et cela permit aussi de réaliser un important travail aérodynamique avant ces roues. Quant au moteur de la 911 GT1 Evo, il est basé sur le Flat 6 de la 962.
A ça de la victoire
Avec la 996 GT1 Evo – dont 20 exemplaires de route ont été développés pour raisons d'homologation – Porsche a presque gagné les 24 Heures du Mans en 1997. "Je venais de quitter les stands après un ravitaillement", raconte le pilote Ralf Kelleners. "A ce moment-là, nous avions un tour d'avance sur le proto Joest-Porsche. Il restait deux bonnes heures de course et tout le week-end, nous avions été les plus rapides. Je venais de demander à Singer si nous ne ferions pas mieux de baisser un peu le rythme, pour assurer la victoire. Mais Singer m'a répondu de continuer à "faire la course". Quand j'ai abordé la ligne droite des Hunnaudières, je n'ai subitement plus eu de boîte de vitesse. J'ai tenté de laisser rouler la voiture aussi loin que je pouvais, pour rejoindre les stands mais à mi-chemin, le cockpit a commencé à être envahi par la fumée, et je me suis dit que le problème ne venait probablement pas de la boîte." Kelleners rangea donc la n°26 à moitié en flammes en bord de piste. "J'étais complètement dépité. Cette course était à nous. Plus tard, nous avons su qu'il s'agissait d'une fuite d'huile, mais ça n'avait plus d'importance."
Au boulot
Aujourd'hui, la 911 GTI Evo a elle-aussi été remise dans son état de 1997, avant l'incendie. "Les décorations, nous les avons peintes. C'était peut-être la partie la plus difficile car nous n'avions qu'un modèle réduit pour référence. Ca nous a pris quatre semaines", se rappelle Mike Gensemeyer, de Britec Motorsports. L'homme est chargé par Jan B. Lühn de superviser ces deux coûteux morceaux de l'histoire de Porsche, avec lesquels c'est maintenant à nous de rouler. Son conseil? "Vous voyez tous ces boutons? Vous ne touchez à rien, vous vous contentez de conduire."
Nous commençons par la 911 GT1 Evo. La meilleure description qu'on puisse en faire, c'est "la moitié d'une 911 à l'avant, la moitié d'une 962 à l'arrière". Et à bord, où on est assis très droit, et très en arrière, c'est aussi la moitié de 911 qu'on reconnait.
Effet turbo
Muselé par un restrictor, le moteur turbo délivre ici 600 ch à 7.200 t/min et 599 Nm à 5.500 t/min. Pour changer les vitesses, c'est à l'ancienne, avec une boîte manuelle 6. Le démarrage s'accompagne d'un puissant grondement mais une fois lancé sur le circuit, la confiance vient vite. La voiture a du grip et ne demande qu'à y aller fort. A chaque changement de rapport, le turbo siffle. Paradisiaque!
Ces sifflements, on les entend aussi dans la 962. Mais là, on est dans une tout autre position. Littéralement. Je suis couché dans une baignoire, jambes tendues, et le levier de la boîte 6 est tout contre le siège. La proximité avec les roues avant est presqu'angoissante, le sentiment de sécurité que procure la 911 GT1 est loin. Et le démarrage est tout aussi impressionnant. C'est comme réveiller un lion un peu trop tôt le lundi matin.
Interrogations
Alors qu'on parvient très vite à prendre ses marques dans la GT1 Evo, il faut un sérieux temps d'adaptation avec la 962. L'Evo a du couple, la 962 présente un délai du turbo énorme. Cette dernière développe au maximum 700 ch et 710 Nm mais moi, je conduis avec la pression de base du turbo, et ce n'est déjà pas facile à maîtriser. Rien n'est facile, avec la 962. Elle rebondit dans les lignes droites, il faut l'inscrire en courbe à basse vitesse mais sous 4.000 tours, il ne se passe rien… jusqu'à ce que tout se passe, d'un coup. Comment ce monstre a-t-il pu un jour faire la course, je ne parviens pas à me l'expliquer.
Ce qu'il me restera de tout cela, c'est la chance unique que j'ai eue de pouvoir conduire deux voitures si importantes dans l'histoire en compétition de Porsche. Un chapitre que le constructeur a, pour un temps, refermé. Mais on se dit qu'avec un compte de 19 victoires, il faudra bien un jour aller chercher la 20ème.
Nos plus sincères remerciements à Jan B. Lühn (www.janluehn.com), à Britec Motorsports (www.britec-motorsports.com) et à Most Autodrom (www.autodrom-most.cz).