"Ohne", c'est le mot allemand pour dire "sans", et il apparaît plusieurs fois sur le bon de commande de cette Série 5 gris arctique de 1994 : sans bandes Alpina sur les flancs, sans badge sur le coffre, sans logos Alpina… Elle est aussi anonyme que n'importe quelle 520i, si ce n'est pour ses jantes et ses pare-chocs Alpina. Des jantes que les arches de roues contiennent à peine, ça fait quand-même un certain effet. En 1994, ceci était le break le plus rapide du marché. De plus, cette Alpina B10 4.6 est particulièrement rare, puisque seulement 19 exemplaires ont été produits.
Plus gros V8, "ohne" turbo
Avec la B10 bi-turbo basée sur la 535i, le célèbre préparateur BMW avait déjà développé une alternative à la M5 de la génération E34. Mais quand en 1991, BMW lança le break M5 Touring, Alpina n'eut rien à lui opposer, la firme de Munich ayant cessé de produire le moteur 6-en-ligne M30. Alpina se tourna alors vers le V8 de la 540i, qui était déjà bien moins chère que la B10 bi-turbo. Une première B10 4.0 de 315 ch a été commercialisée entre 1993 et 1995. Quant à la 4.6, elle était plus chère, mais pas autant que la B10 bi-turbo. Le prix s'explique par le fait qu'Alpina n'avait pas pu réaléser le V8 4 litres, BMW avait donc lancé une production séparée du 4.6 spécialement pour Alpina, le moteur F2. Il disposait de meilleurs pistons provenant de chez Mahle, d'un taux de compression plus élevé, d'un timing des soupapes modifié et d'une gestion Bosch spécifique. De quoi offrir 340 ch et 480 Nm à la B10 4.6. La voiture est aussi équipée d'une boîte auto Switch Tronic 5 rapports avec commandes manuelles au volant. Et en 1994, c'était encore très… exotique.
275 km/h
La boîte auto a pour effet qu'avec 6,3 secondes pour le 0-100, la B10 4.6 est moins explosive que la M5 Touring. Par contre, elle profite à la vitesse de pointe. Alors que la M5 est, selon le "Gentlemen's agrement" qui unit les marques premium allemandes, limitée 250 km/h, l'Alpina continue de pousser jusqu'à 270 km/h. Le magazine allemand Auto Motor & Sport l'a même chronométrée à 275 km/h. En 1994, aucun break ne pouvait en faire autant.
25 ans plus tard, je m'installe au volant de ce qui est le 3ème des 19 exemplaires de la B10 4.6 Touring. La clé tourne dans la serrure, et un ronronnement pénétrant empli alors l'atmosphère. Juste un instant. Ensuite, le silence revient. V8 ? Quel V8 ?
Passages en manuel
Sur la route, ce même sentiment persiste encore quelques minutes. Boîte sur D, l'Alpina B10 4.6 se montre très sage. De son côté, la gestion de boîte accuse le poids des ans : ses passages de rapports sont loin d'être rapides, et elle compte plus sur le couple généreux pour aller de l'avant. Si on veut emballer le moteur, il faut enfoncer le pied droit loin dans la moquette Alpina (à l'intérieur, la voiture revendique son identité), et ce n'est que là que le moteur donne une indication de sa vraie personnalité. Quand l'aiguille de l'emblématique compte-tours à fond bleu passe 4.500, le V8 retrouve sa voix. Il se retrousse les manches et répond présent pour le travail plus sérieux. Soudainement, je suis écrasé contre mon siège tandis que la vitesse augmente et que le compte-tours indique 5.000, puis 6.000. Ce n'est que vers 6.500 tours que la boîte enchaîne le rapport suivant, après avoir léché la zone rouge. Mon humeur passe au beau fixe pour le reste de la journée. Et quand je déciderai d'utiliser la boîte en mode manuel, j'aurai droit à une machine au mieux de sa forme.
Deux téléphones
Plus que par son moteur, c'est surtout par son châssis que l'Alpina diffère d'une M5. Dans sa quête du meilleur dynamisme, Alpina refuse le compromis en la matière. Sur ses jantes 17'' montées en 235/45 à l'avant, 365/40 à l'arrière, le B10 est donc plutôt dure, mais elle conserve pourtant un certain confort sur un mauvais revêtement. Ceci est une fusée pour homme d'affaire pressé. Les deux énormes téléphones d'époque installés à bord ont de quoi faire sourire aujourd'hui, mais ils montrent bien le public cible de cette "business mobile". Si de nos jours, elle peut sembler "too much", c'est parce qu'elle vient de la grande époque des Autobahn. A cette époque, celui qui, lancé à 250 km/h, lançait des appels de phares pour se dégager la route était l'Empereur du bitume. Et derrière lui, arrivait encore la B10 4.6, à 275 km/h. De quoi coller aux fesses d'une 911.
Valeur sûre
De nos jours, la vitesse de pointe n'est plus l'argument principal. Ce qu'on retient, c'est que cette E34 pas comme les autres conserve remarquablement bien sa valeur, surtout dans sa teinte argent arctique métallisée. Aujourd'hui, les dernières Série 5 à phares ronds sont devenues des classiques, au même titre que les Série 3 E30. Elles sont le symbole d'un temps où BMW ne semblait jamais pouvoir louper quoi que ce soit.
Neuve, l'Alpina B10 4.6 coûtait l'équivalant de 84.000€, et c'est précisément ce qu'elle vaut aujourd'hui. C'est ce qu'on appelle une valeur sûre…
Nos remerciements à Springbok Sportwagen de Hanovre pour cette belle découverte.