Dans la vie, il y a des rencontres qui ne laissent pas indifférent. Et, c’est encore plus vrai lorsqu’un des protagonistes vous fait rêver depuis votre plus tendre enfance. Dès lors, quand Jaguar laisse entendre que le coupé F-Type est le digne héritier du coupé E-Type, il est grand temps d’organiser une confrontation. Car, à la rédaction, chaque journaliste est un peu comme Saint-Thomas.
Bref, s’il n’est pas difficile de mettre la main sur un coupé F-Type, il faut néanmoins encore attendre la réponse de la responsable des relations publiques Jaguar pour se réjouir de l’événement à venir. Celle-ci ne s’est pas faite attendre ; l’attachée de presse ayant rapidement convaincu le propriétaire d’un coupé E-Type Série II de 1969. Inutile de vous préciser que notre photographe s’en est donné à cœur joie !
Jour J
Comme cadre pour ce rendez-vous, notre photographe avait choisi une briqueterie dans les environs de Boom. Envahi par une épaisse brume matinale, le lieu dégageait une atmosphère étrange certes, mais idéale pour laisser son esprit vagabonder. En garant les félins côte à côte, on a ainsi pu mieux comprendre pourquoi les têtes se retournaient sur notre passage lorsque nous étions sur la route menant à la briqueterie.
En gros, le coupé E-Type met en avant son éclatante robe noire, son capot interminable et ses formes fuselées certes, mais perturbe surtout par ses dimensions. Avec une longueur de 4,43 m, une largeur de 1,63 m et une hauteur d’à peine 1,22 m, la E-type a de quoi décontenancer. En faisant face à la F-type, on a même l’impression qu’un rouleau compresseur lui est passé dessus. C’est dire... L’héritière spirituelle, pour sa part, est un rien plus longue et beaucoup plus haute. Elle se présente avec des cotes comparables à celles de l’actuelle Porsche 911. Autrement dit, par rapport à d’autres sportives de son calibre, elle s’offre une taille de guêpe. Sa ligne d’ensemble, pour sa part, est à couper le souffle et n’a vraiment rien à envier aux prestigieuses Aston Martin qui virent également le jour sous les coups de crayon du célèbre designer Ian Callum.
Magnifiques similitudes
Evidemment devant ces deux félins, si l’on reste bouche bée de longues minutes, il ne faut pas longtemps pour que le cerveau s’éveille et se mette à chercher les traits pouvant justifier cette fameuse filiation. Et là, force est de constater que certains d’entre eux sautent directement aux yeux. Cela dit, Jaguar n’étant pas du genre à jouer à outrance la carte néo-rétro, on peut affirmer sans se tromper que ces traits ont fortement enflé avec les années.
Ainsi, en observant les faces de ces Jaguar, on note tout d’abord que la fine calandre ovale de la E-Type s’est muée, sur la F-Type, en une gueule béante prête à dévorer ses proies. Ensuite, si l’on est heureux de retrouver le capot légèrement bombé en son centre sur les deux Jaguar, on se dit que le dessin des phares de la benjamine correspond à une interprétation moderne des phares sous plexi si chers à l’aînée. De profil, si la loi de l’évolution semble avoir fait son œuvre question design, l’air de famille est là. Mais, soyons honnêtes : il faut une certaine imagination pour que le lien entre les deux félins se perçoive directement. Par contre, en se plaçant derrière ces Jaguar, on peut apprécier les ailes rebondies ; la E-Type les a sacrément musclées tandis que la F-Type préfère des formes légèrement plus douces. Enfin, s’il y bien un détail que l’on ne peut ignorer sur ces Jaguar, c’est le capot moteur. Dans les deux cas, si le capot s’ouvre en basculant vers l’avant, c’est celui de la E-Type qui a au moins le mérite de dévoiler dans toute sa splendeur la salle des machines. C’était le bon temps quoi... D’autres similitudes extérieures ? Il y en a sûrement ! Mais, sur ce sujet, chacun est libre d’avoir sa propre perception...
Univers distincts
Avec 45 ans d’écart entre ces deux félins, il n’y a bien sûr aucune chance de trouver des similitudes en s’installant à bord. Dans la E-Type, une fois la mince portière ouverte avec précaution, on ne prend pas place derrière le volant, on s’y glisse ! De ce siège baquet en cuir noir, on réalise que quatre des cinq sens se mettent précipitamment en mode « On ». L’odorat apprécie le mélange des effluves de cuir, d’huile, d’essence et de bois. Au ras du sol, la vue permet de découvrir la route sous un autre angle ; le moindre véhicule s’apparentant à un imposant 4X4. En caressant de la paume de la main l’ensemble des matériaux, les sensations remontent à une vitesse folle vers le cerveau et y laissent une emprunte indescriptible. Enfin, en tournant la petite clé dans le barillet, le réveil du six cylindres prouve à 100 % que votre ouïe est fine. Un moment de pur bonheur !
En montant dans le F-Type, ce moment ne s’éclipse pas. Mais, dans cet habitacle du XXIème siècle, le charme opère différemment. Le style y est en effet très exclusif certes, mais également très épuré ; la console centrale se dotant de rares touches et l'instrumentation se la jouant minimaliste. Fort heureusement, ici, l’homme fait corps avec son environnement. Et, en vérité, il regrette juste que l’intérieur fasse l’impasse sur les boiseries et mélange un peu trop cuir et plastique. Mais bon... Par contre, quelles que soient les conditions météo, le conducteur sait au moins qu’il profitera toujours d’un cocon douillet. Avec la E-Type, ce n’est pas vraiment le cas ; cette Jaguar se transformant vite en four dès que les températures sont estivales...
Forces en présence
Au moment de bomber le torse, aucune de ces Jaguar n’a bien sûr à rougir. Sous le capot de la E-Type, on découvre un magnifique 6 cylindres en ligne de 4.235 cm3 développant une puissance de 265 chevaux à 5.400 tours et affichant une valeur de couple d’environ 383 Nm. Ce bloc, associé après restauration à une boîte manuelle Getrag à 5 rapports, permet théoriquement à ce coupé de 1.295 kg de passer de 0 à 100 km/h en 7 secondes et de filer à 241 km/h. N’étant pas là pour faire brûler de la gomme, personne ne s’est permis d’en douter. En face d’elle, la F-Type abrite un V6 suralimenté fort de 340 chevaux (450 Nm). Associé à une boîte automatique à 8 rapports, ce bloc permet de couvrir le 0 à 100 km/h en 5,3 secondes et d’atteindre une vitesse limitée électroniquement à 260 km/h. Impressionnant, non ?
Evidemment, après quelques kilomètres au volant de ces coupés, on ne se permet pas de véritables comparaisons. On se dit juste que la F-Type, même en version de base, a de quoi ravir celui qui cherche une voiture capable de réaliser de belles performances et d’afficher un comportement relativement sain. Il faudra néanmoins que le pilote s’accommode de la sonorité démoniaque en mode sport (attention à la dépendance !) et qu’il compose avec une direction pas suffisamment précise et des suspensions jugées parfois un rien trop fermes. La E-Type, pour sa part, est une machine à remonter le temps. Elle invite à une conduite délicate, préserve les lombaires et enivre les tympans. Derrière son grand volant qui tombe sur les cuisses, si l’on craint les virages et autres manœuvres (par peur d’abîmer une telle œuvre sur roues), on redoute encore plus le moment où il faudra rendre la clé de celle qui sera passée du rêve à la réalité le temps d’une magnifique rencontre intergénérationnelle...
Nos remerciements à l'Ecomusée et Archives de la Brique de Boom de nous avoir accueillis pour les prises de vue.